Le hockey sur glace suisse connaît une pénurie d’arbitres. Andreas Fischer, Director Officiating et Referee in Chief, en explique les raisons, présente la manière dont Swiss Ice Hockey entend recruter de nouveaux arbitres, hommes ou femmes, et évoque sa vision de l’arbitrage en Suisse.
Après une carrière de joueur et quelques années en tant que fonctionnaire dans le hockey sur glace, tu t’es tourné vers l’arbitrage. Pourquoi ?
Après ma carrière de joueur, l’idée d’être à nouveau un élément du jeu, et ce, directement sur la glace, a lentement fait son chemin. La transition n’a pas été des plus aisées. En tant que joueur, tu connais globalement les règles principales les plus usuelles, sans toujours être au fait de l’ensemble et de tous les détails du règlement. J’ai dû tout apprendre. Les arbitres se concentrent sur d’autres aspects du jeu. Les joueurs portent l’essentiel de leur attention sur le puck, tandis que les arbitres doivent avoir une vision plus large du match et être attentifs à des situations en marge du jeu avec le puck. J’ai apprécié de pouvoir gagner mes galons d’arbitre au niveau amateur avant d’être engagé dans les ligues supérieures.
Dans quelle mesure ta carrière d’arbitre t’a-t-elle marquée ?
Après chaque match, l’arbitre doit mener une réflexion honnête avec lui-même en ce qui concerne sa prestation sur la glace. Il convient de reconnaître ses erreurs et d’en tirer les enseignements. Il m’est arrivé un jour d’annuler un but par erreur, bien que nous ayons examiné la scène sur la vidéo et que personne dans le stade ou devant le poste de télévision ne pouvait comprendre la décision. Le lendemain durant le post-examen, je me suis rendu compte que la décision était erronée. De telles expériences sont très marquantes et instructives.
Comment gérais-tu la pression à l’époque ?
J’ai été sensible aux critiques et ouvertement assumé mes erreurs. En tant qu’arbitre, l’on apprend à gérer des situations extrêmes. Malgré la pression et les émotions parfois bouillonnantes des équipes, des fans et des médias, il faut être capable de se préparer et de diriger le prochain match de manière complètement neutre, indépendamment des joueurs présents sur la glace.
La pression sur les arbitres s’est-elle accrue ces dernières années ?
Les moyens techniques dont nous disposons aujourd’hui ont fait augmenter la pression. A présent, les téléspectatrices et les téléspectateurs ont une bien meilleure perception du jeu, ils profitent de de nombreux angles de caméra et peuvent revoir les scènes au ralenti, voire au super-ralenti. Sur la glace, l’arbitre doit, pour sa part, prendre des décisions en quelques secondes ou fractions de seconde. Sa perspective est complétement différente. Depuis les tribunes ou à la télévision, les spectateurs voient l’ensemble de la surface de jeu depuis le haut. Sur la glace, des événements peuvent se produire dans le dos de l’arbitre, son champ de vision peut être masqué par les joueurs ou il peut être absorbé par une autre situation. Cela peut arriver dans ce sport rapide qu’est le hockey sur glace et nous tentons de l’expliquer aux clubs et aux consommateurs. Le fait que, depuis la saison en cours, les téléspectatrices et les téléspectateurs de matchs de National League aient la possibilité d’entendre les arbitres durant l’examen des images vidéo et la prise de décision contribue à une meilleure compréhension. L’arbitre est toujours son propre avocat. Néanmoins, notre objectif est toujours de commettre le moins d’erreurs possible et de progresser continuellement.
No Refs – No Game
Sous le slogan de campagne « No Refs – No Game », Swiss Ice Hockey se consacre cette semaine à la « troisième équipe ». Le sujet de l’arbitrage est présenté sous différentes facettes sur les canaux en ligne et les médias sociaux et la parole est donnée à plusieurs protagonistes. L’objectif de la campagne « No Refs – No Game » est de présenter le monde de l’arbitrage aux personnes intéressées et d’attirer l’attention de nouveaux arbitres potentiels, hommes ou femmes. De plus amples informations sont disponibles sur la page web de la campagne www.norefsnogame.ch.
En ta qualité de Director Officiating, quels sont, selon toi, les principaux défis auxquels est confronté l’arbitrage en Suisse à l’heure actuelle ?
J’en reviens à ma réponse précédente : L’un de nos plus grands défis est l’acceptation de l’arbitrage en Suisse. Nous souhaitons que le large public prenne conscience de l’être humain qui se cache derrière la fonction d’arbitre. Il est par exemple très peu connu que la forte majorité de nos arbitres exercent une profession à temps plein et officient en tant qu’arbitres en sus de leur métier, et ce, même dans les ligues supérieures. Cette constatation nous mène au prochain défi, à savoir la professionnalisation de l’arbitrage. Nous n’avons pas besoin de plus d’argent pour rémunérer les arbitres, mais de fonds supplémentaires pour assurer une formation ciblée, le recrutement et la promotion des arbitres. Nous devons créer de meilleures conditions pour pouvoir optimiser durablement la formation initiale et continue des arbitres, leur encadrement et leur coaching. A tous les niveaux, nous déplorons aujourd’hui une pénurie d’arbitres bien formés. L’arbitrage doit donc devenir plus populaire. Sans la troisième équipe, rien ne va.
Quelles sont les conséquences potentielles de cette pénurie d’arbitres ?
Au pire des cas, des matchs, voire des championnats entiers pourraient ne pas avoir lieu en raison du manque d’arbitres. Aujourd’hui déjà, dans le hockey sur glace amateur, certains arbitres dirigent deux ou trois matchs par jour dans des catégories différentes, et ce, parce que nous ne disposons tout simplement pas d’un nombre d’arbitres suffisant pour pouvoir couvrir tous les matchs autrement. Si nous n’investissons pas maintenant dans le recrutement et la promotion, cette situation déjà précaire se verra exacerbée.
Comment transmets-tu à une ou un candidat la motivation de devenir arbitre ?
Comme je l’ai dit, pour une ancienne joueuse ou un ancien joueur, l’attrait réside, selon moi, dans le fait de pouvoir continuer à jouer un rôle actif dans le jeu et de ressentir les émotions sur la glace. Plus globalement, l’arbitrage est une excellente école de vie pour tout un chacun. L’on doit apprendre à prendre ses responsabilités, à se préparer et à se concentrer, à se focaliser entièrement durant une période donnée.
Quel type de personne est particulièrement apte à devenir arbitre ?
En principe, chacune et chacun qui apprécie ce sport et s’intéresse au hockey sur glace peut devenir arbitre. Bien entendu, savoir patiner est un atout non négligeable ! Par conséquent, nous cherchons en priorité à motiver les anciennes joueuses et les anciens joueurs à se tourner vers l’arbitrage.
Comment l’arbitrage se développera-t-il à l’avenir ?
Si nous poursuivons de manière conséquente dans la voie engagée, nous espérons que l’acceptation des arbitres augmentera graduellement, ce qui rendra l’arbitrage globalement plus populaire. Il est clair qu’un arbitre ne peut jamais faire plaisir à tout le monde. Les critiques de la part des clubs, des supporters ou des médias sont inévitables. C’est une bonne chose, car les émotions font partie de notre sport, pour autant que les propos ne soient pas malhonnêtes, injustes ou injurieux, ce qui arrive malheureusement. Néanmoins, je suis persuadé que l’arbitrage en Suisse connaîtra le succès si nous continuons de travailler dur et de manière ciblée pour atteindre nos objectifs.
Idéalement, à quoi ressemblera l’arbitrage dans dix ans pour toi personnellement ?
Pour autant que j’en aie encore la responsabilité dans dix ans, je souhaiterais la confier à ma ou mon successeur en sachant que les objectifs mentionnés ont été atteints : que l’arbitrage se situe à un niveau qui ne soit plus comparable à celui d’aujourd’hui, que l’arbitrage rencontre une large acceptation, qu’un dialogue constructif ait lieu et que l’arbitrage dans son ensemble ne soit pas considéré négativement.
Andreas Fischer
-Ancien joueur de hockey sur glace professionnel (CP Berne, Fribourg-Gottéron, HC Ambrì-Piotta, EV Zoug, EHC Coire)
-6 années à des postes de fonctionnaire au sein du EHC Coire, d’abord en tant que head coach, puis de directeur sportif et de directeur
-8 années d’arbitrage dans le Sport d’élite
-Au sein de l’Officiating Management de Swiss Ice Hockey depuis 2017
-Director Officiating depuis la saison 2018/19.